L'accident étouffé

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Télégodard

Les archives de François GODARD

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" L'ACCIDENT ÉTOUFFÉ "

Peu avant 3h00 du matin, le 13 juillet 1998, sur les Champs-Elysées,
s’est produit le plus grave accident qu’ait connu l’avenue.
À cette heure tardive, supporteurs, parisiens et touristes avaient déjà bien fêté la victoire de l’équipe de France
face au Brésil en finale de la Coupe du Monde de Football qui avait eu lieu,
la veille, ce fameux 12 juillet 1998 dont tous les Français se souviennent.

Pour célébrer les 3 buts de « la bande à Zizou », il y avait plus d’un million de personnes sur et autour des Champs-Élysées.
Et, chose étrange, les voitures pouvaient se faufiler et traverser l’avenue ou même y circuler,
comme en témoignent les nombreux supporteurs qui avaient grimé leurs véhicules aux couleurs tricolores.

Étrange situation car après la demi-finale contre la Croatie, nombreux avaient été les supporters à se masser
sur les Champs et les autorités savaient très bien que la foule rejoindrait les abords de l’Arc de Triomphe
où le sponsor et équipementier de l’équipe de France avait d’ailleurs prévu de projeter un diaporama à la gloire des champions.
Tous les métros et les ponts étaient d’ailleurs pris d’assaut dés la fin du match
car convergeaient vers les Champs une bonne partie des 80.000 spectateurs du Stade de France,
la quasi totalité des supporteurs ayant suivi le match devant les dizaines d’écrans géants
installés dans les stades ou sur les places de Paris et ses banlieues,
mais aussi de nombreux parisiens qui sont sortis de chez euxdans cette soirée chaude et inoubliable
car elle est devenue à l’époque le symbole de la fameuse « France Black Blanc Beur.

Dans une atmosphère un peu alcoolisée de troisième mi-temps mais dans une ambiance très bon enfant.
Les jeunes banlieusards côtoyaient les pères de famille accompagnés de leurs mômes,
les adolescents étaient bien sûr les plus nombreux en ce début de vacances d’été,
mais il y avait aussi beaucoup de touristes du monde entier qui avaient passé plusieurs jours à Paris
pour assister aux matchs de leurs équipes. Policiers en uniforme et en civil
étaient en nombre et des cars de CRS constellaient les abords des Champs-Élysées.

C’est un peu avant 3h00 du matin que le drame survint, au delà du Rond-Point des Champs-Élysées,
au niveau de la rue Marbeuf. Une voiture noire, une Golf Wolkswagen exactement,
a fendu la foule et écrasé tout ce qui se présentait devant elle, avant d’aller s’échouer
devant le kiosque à journaux situé devant le Virgin Mégastore.

Puis l’ivresse de la victoire s’était métamorphosée en colère d’une foule intenable
ou les plus virulents s’attaquaient au véhicule sans même se préoccuper
des victimes gisant dans le sillage ou sous la voiture. D’autres prodiguèrent des
premiers soins aux victimes ou essayèrent de calmer ceux dont les nerfs avaient explosés.

Il semble que la conductrice a réussit à fuir, escortée ou non de policiers en civil.
Mais c’est un mélange étrange qui planait dans l’air :
ambiance de guerre et de carnage mêlée à une certaine incrédulité de la plupart des gens,
scènes d’émeutes vite balayées par trois charges de CRS aussi rapides que pratiqués
sans la moindre délicatesse pour les victimes gisant au sol.
Comme en rase campagne, les secours (SAMU, Pompiers et Ambulances)
ont mis de longues dizaines de minutes avant d’arriver au chevet des victimes.

Combien y’a-t il eu de victimes ?
Difficile à répondre exhaustivement à cette question
car beaucoup d’entre-elles ne se sont pas déclarées car l’agoraphobie
dont elles sont désormais victimes ne s’est révélée qu’après coup.
Mais une association de victimes s’est créée quelques jours après et a pu tracer un bilan
jamais confirmé par les autorités préfectorales :
un mort, trois tétraplégiques, une dizaine de paraplégiques et une centaine de personnes
avec de petites blessures ou gravement choquées psychologiquement.

Que s’est-il donc passé ?
La version officielle donnée par les médias a consisté à tracer le portrait étrange
d’une conductrice à moitié folle qui permettrait vite d’enterrer l’affaire et ainsi de ne pas gâcher la fête.
La conductrice fut donc présentée comme une femme seule, directrice d’école dans les Yvelines,
qui, un peu désœuvrée et sous antidépresseurs, était allée boire quelques verres et regarder le match
au Fouquet’s dans l’espoir d’y rencontrer Patrick Bruel dont elle aurait été fan.
Et par dépit de ne pas avoir pu côtoyer la star de l’époque, elle aurait bu plus que de mesure,
avant de reprendre son véhicule, de rouler sur les Champs-Élysées où des jeunes auraient bousculé son véhicule.
Devant cet assaut, la conductrice aurait appuyé fortement sur le frein,
écrasé la foule avant que son véhicule ne s’immobilise avec la complicité du mobilier urbain.
Puis elle aurait fuit, se serait réfugié dans un hôtel de Paris,
avant d’être retrouvée le lendemain par les autorités policières.

Mais le plus étrange concerne la suite des évènements
car la responsable de l’accident aura le droit à un non-lieu consécutif à un classement de l’accident :
on fera passer la conductrice pour folle car ayant perdu ses facultés au moment de l’accident.
Une information judiciaire fut ouverte discrètement mais aucun procès n’eut lieu,
ce qui a bienheureusement évité de gâché la fête
et le souvenir de la victoire d’une France tricolore et « black blanc beur »
qui avait triomphé en final du Mondial contre le dieu du football brésilien.
Cela a évité d’occasionner quelques dégâts d’images collatéraux aux responsables de la Coupe du Monde à Paris :
le préfet Philippe Massoni, grand ami du Président Chirac et son Ministre de l’Intérieur Jean-Pierre Chevènement,
Jean Tibéri, la Maire de Paris de l’époque, Michel Platini, le valeureux organisateur de la Coupe du Monde …

Et pour qu’il y ait un non lieu après un tel bilan
(1 mort, des dizaines de blessés plus ou moins grave et plus d’une centaines de témoins traumatisés),
il a fallu que les autorités et les assurances s’entendent avec les victimes
dont certaines s’étaient d’ailleurs organisées dans une association d’aide et de soutien.
Il semble que de très grosses sommes aient été distribuées pour éviter de faire trop de bruit.
Il n’y a donc eu ni reconstitution, ni procès, ni suivi particulier des victimes,
à part une vague prise en charge ponctuelle de l’association judiciaire « Paris Aide aux Victimes ».

La juge d’instruction Marie-Paule Moracchini s’est illustrée dans cette affaire par un manque d’intérêt flagrant
pour les tenants et les aboutissants de ce grave accident :
à défaut d’égarer des éléments de procédure comme elle a su le faire quelques années plus tard
lors d’un procès contre la Scientologie, elle a su ici ne pas trop les multiplier …
La justice est parfois un vrai art (de l’esquive)
lorsqu’elle s’occupe un événement médiatique international
ayant eu lieu sur « la plus grande avenue du monde ».

Avec un vrai procès, on aurait pu comprendre que la conductrice n’était pas la seule coupable
du bilan dramatique de cet accident. Peut-être aurait-on pu juger du niveau de responsabilité des chefs policiers,
politiques et sportifs qui laissèrent anarchiquement rentrer les voitures
sur une avenue gorgée de plus d’un million de supporteurs déchainés.

D’ailleurs les leçons semblent avoir été tirées car depuis 1998,
les Champs-Élysées ont souvent été interdits de circulation lors d’événements susceptibles d’attirer la foule.
Étrange fut aussi le traitement médiatique de l’accident qui fut relayé en fin de Journal Télévisé le jour suivant :
aucune enquête, aucun suivi des victimes
et de très rares comptes rendu des suites judiciaires de l’affaire,
alors que les médias audiovisuels sont pourtant friands d’enquêtes policières ou victimaires.

C’est vrai que le scénario et les décors pouvaient prêter à toute surenchère,
mais on s’étonne qu’un tel événement n’ait eu ni suites judiciaires,
ni réelles enquêtes journalistiques des responsabilités de cette grave mise en cause de la sécurité publique
au cœur de la capitale française.

Encore plus étonnant fut le traitement médiatique de l’accident faite pour « célébrer » les 10 ans de l’accident :
en 2008, lors d’un premier numéro d’une nouvelle émission de reportages,
la chaine Canal + diffusa les images du drame, pas pour parler de sécurité publique
mais pour introduire un sujet sur les dangers des médicaments au volant,
la conductrice étant alors érigée en symbole de ce qu’il ne fallait pas faire : une belle façon de (dés)informer ...

FRANÇOIS GODARD

Peu d’informations disponibles sur internet à part cette copie de la dépêche du matin de l’accident
relayée encore aujourd’hui par le journal belge LE SOIR ,
comme si les médias français s’étaient tous mis d’accord
pour ne pas en parler au moment des faits et ne jamais relayer l’information depuis …


AFP du Lundi 13 juillet 1998
La liesse populaire ternie par un grave accident

Le triomphe des Bleus, célébré dans toute la France par plusieurs millions de personnes, a été terni lundi par un accident dans lequel 80 personnes ont été blessées par une voiture folle à Paris sur les Champs-Elysées.
La voiture a foncé dans la foule au moment où plus d'un million de supporteurs en délire criaient leur joie sur la célèbre artère, peu avant trois heures, et que la fête semblait partie pour durer toute la nuit.
Le véhicule, qui avait réussi à pénétrer sur l'avenue par une voie encore inconnue,
a fauché au moins 80 personnes en descendant les Champs-Elysées, entre l'avenue Georges V et l'avenue Montaigne.

Tous les blessés ont été transportés vers les hôpitaux de la Pitié-Salpétrière, Ambroise Paré et Bichat.
Onze d'entre eux se trouvaient lundi matin dans un état grave, victimes notamment de traumatismes crâniens,
mais leurs jours n'étaient pas en danger, a indiqué Dr Alain Michel, médecin chef des pompiers de Paris.
Selon une source proche de l'enquête,
le véhicule à bord duquel se trouvait un couple a été pris à partie par des supporteurs.
Certains d'entre eux sont même grimpés sur la voiture.

La conductrice qui avait été identifiée mais pas interpellée,
s'est présentée d'elle-même ce matin au commissariat de police d'Elancourt,
dans la région parisienne, a-t-on appris de sources informées.
Fonctionnaire de son état, âgée de 44 ans, elle a reconnu les faits et déclaré avoir «paniqué».
Les policiers n'excluent pas l'hypothèse d'un problème technique sur son véhicule. (AFP)